Avant la Commune

 

Il y a 150 ans, Paris vivait sous la Commune. Tout nous le rappelle aujourd’hui, des émissions télévisées, radiophoniques, des vitrines de librairies, et c’est normal en raison de l’espoir qu’elle a suscité en un avenir plus juste et du massacre effroyable dont elle a été l’objet après seulement quelques semaines d’existence. Elle n’émerge d’ailleurs pas qu’à Paris, on la retrouve sous des formes diverses à Lyon, à Toulouse, au Creusot et dans d’autres villes, jusqu’à Alger. Partout, elle sera réprimée dans la violence.

Si le mouvement couvait depuis déjà longtemps du fait des conditions de vie exécrables d’une grande partie de la population travaillant dans les mines ou les industries qui avaient prospéré au cours du XIXe siècle, le contexte de la guerre déclenchée en 1870 a été propice à son explosion.

C’est sur ce contexte, souvent peu connu, que porte le livre d’Émile Zola, La Débâcle. Moins cité que d’autres romans de cet auteur, il nous entraîne, au travers de deux personnages principaux, Jean Macquart, le paysan, et Maurice Levasseur, le jeune avocat, dans un périple au jour le jour de Mulhouse à Paris, en passant par Sedan. La guerre dure quelques mois, d’août 1870 à fin mai 1871, mais elle a suffi pour bouleverser une société.

Et pourtant, qui se souvient désormais des causes de cette guerre ? Émile Zola ne revient pas sur cette question dans La Débâcle. Il dépeint seulement un empereur vieillissant et souffreteux, qui se déplace d’un champ de bataille à un autre entouré d’une cour opulente et inappropriée, dont les pouvoirs semblent lui échapper au profit de généraux dirigés par l’impératrice depuis Paris.

L’origine du conflit entre la France et la Prusse se situe en réalité en Espagne. En 1868, Isabelle II, reine d’Espagne depuis 1833, est renversée par une révolte et s’exile en France. Son règne ponctué de crises politiques ou militaires a été instable et son impopularité croissante. Une constitution libérale est votée en 1869 et la question se pose de trouver un nouveau monarque qui ne la remettra pas en cause. Parmi les candidats bien placés figure Léopold von Hohenzollern proposé par le roi de Prusse Guillaume Ier.

Napoléon III s’y oppose. Il craint l’influence de la Prusse voisine qui, partant des États du nord de l’Allemagne, a déjà étendu son territoire en quelques batailles aux États du sud et à l’Autriche, tout en annexant, au centre, les royaumes de la Hesse et de Hanovre. Le ministre français des Affaires étrangères est envoyé auprès de Guillaume Ier qui annonce renoncer à sa proposition le 12 juillet 1870. Pourtant, le lendemain 13 juillet, une dépêche rendue célèbre sous le nom de « dépêche d’Ems » rédigée par le  chancelier prussien Bismarck, rapporte l’entretien entre le roi et le ministre de façon déformée et humiliante pour le représentant français. Volonté d’extension de Bismarck ? Sans nul doute ; sincérité du roi de Prusse ?

Déclare-t-on une guerre sur une dépêche ? Il semble que oui. Alors que l’armée française n’est pas préparée, le gouvernement, soutenu par l’impératrice, appelle à la déclaration de guerre. Ce sera chose faite le 19 juillet 1870.

La suite est dans le livre d’Émile Zola : l’incompétence des militaires, leurs divergences selon qu’ils prennent leurs ordres à Paris ou sur le terrain, l’impréparation qui conduit à des carences dans l’approvisionnement des soldats, l’armement désuet dont ils disposent face à l’armée prussienne très organisée, la violence des combats, le massacre enfin de ces soldats en sous-effectif pris en étau dans les campagnes du nord-est de la France, ou faits prisonniers par centaines de milliers. Zola nous raconte dans le détail ces journées d’errance puis de défaite lorsque, le 1er septembre, encerclé à Sedan, Napoléon III dépose les armes. Il nous décrit aussi les comportements contrastés de la population occupée et le courage des femmes.

Les deux derniers chapitres de La Débâcle sont consacrés à la Commune de Paris. Proclamée le 18 mars 1871, elle s’oppose à la République instituée dès le 4 septembre précédent, lui reprochant l’absence de réformes sociales. Là encore, c’est une guerre qui se continue entre Versaillais et Communards cette fois, les Prussiens demeurant au bord de Paris. Émile Zola nous emporte à travers les rues, les barricades, les incendies et les innombrables fusillades qui ont écrasé la révolte naissante.

Ce roman témoigne de la guerre de 1870 de façon précise et cependant accessible grâce aux personnages attachants. N’oublions pas que cette guerre, souvent méconnue, a fait basculer définitivement la France dans un système républicain et qu’elle a sans doute été la première des deux autres appelées « guerres mondiales ». L’annexion de l’Alsace et de la Lorraine en 1871 pèsera en effet très lourd dans le déclenchement du conflit en août 1914 et l’humiliation née de la défaite allemande en 1918 ne sera pas étrangère à l’affrontement de 1940.  De même, l’armée française de 1870 était déjà composite, avec ses soldats belges, italiens, dont Garibaldi, ou algériens.

Si le nombre de pages devait vous décourager, pensez aussi que cette époque n’est pas si lointaine, c’est un peu de la vie de vos arrière-grands-parents ou de leurs parents que vous pourriez découvrir !

Bonne lecture !

 

Le livre

Émile Zola, La Débâcle, Paris, G. Charpentier, 1892 (le livre a été réédité plusieurs fois en particulier en livre de poche ; il peut être téléchargé sous la forme e-book).