Un personnage nommé l’écrivain public

 

L’écrivain public est le plus souvent celui ou celle que l’on contacte ou que l’on rencontre lors d’une permanence pour la rédaction d’un courrier, ou à qui l’on transmet son texte à relire, ou à qui l’on raconte une histoire à partager ensuite sous forme écrite.

Il est aussi parfois un personnage de livre qui nous interpelle sur certaines facettes du métier. Trois livres bien différents me viennent à l’esprit.

 

Tout d’abord, un récit de Tahar Ben Jelloun, L’écrivain public, qui pose comme décor un scribe écrivant les aventures vécues par un anonyme. Dans son introduction, l’écrivain public nous avertit sur ce conteur : « Il s’agit de quelqu’un que je connais bien, que j’ai fréquenté longtemps. Ce n’est pas un ami, mais une connaissance. C’est une présence dont je ne me suis pas assez méfié. »

Dès les premiers chapitres, il apparaît que l’écrivain public et le conteur ne forment qu’une seule personne dont on pourrait même affirmer qu’elle se confond avec l’auteur du roman. C’est ainsi une autobiographie qui nous est offerte par Tahar Ben Jelloun. Il nous entraîne dans tourbillon de riches descriptions des villes qu’il a parcourues, Fès, Tanger, Paris, Médine… et des situations heureuses ou pénibles qu’il a traversées. Elles sont pénétrées de femmes aux rondeurs sensuelles, de végétations odorantes, mais aussi d’observations sur l’actualité.

Jouant au véritable écrivain public, l’auteur n’hésite pas à faire appel à des photos pour décrire un contexte, à des lettres ou à des cahiers intimes tenus par tel autre personnage, le tout formant un texte animé qui se conjugue à toutes les personnes.

 

Plus explicite sur le rôle de l’écrivain public est le roman de Sorj Chalandon, La légende de nos pères. Dans ce livre, un biographe est sollicité par une jeune femme pour écrire les exploits de résistant de son père pendant la Seconde Guerre mondiale. Au départ, il y a les paroles du père transcrites à chaque rendez-vous et un cahier remis par la jeune femme dans lequel, vers l’âge de dix ans, elle avait noté les histoires que lui racontait son père au coucher. Et puis, dans la chaleur étouffante de l’été 2003, les choses se compliquent.

Je ne vous en dirai pas plus, sinon que ce roman nous interroge, de façon pertinente, sur l’écriture et la mémoire. Au chapitre 2, le personnage du biographe indique : « Ma clientèle n’était pas trop exigeante. Elle demandait simplement que bout à bout, ses anecdotes aient l’apparence d’un beau livre. Deux cents pages en moyenne, un beau titre, quelques photos regroupées dans un cahier central et une reliure brochée. » La réalité décrite s’avère plus nuancée. Si la rédaction d’un événement passé fait bien appel à la mémoire, elle réveille aussi des comportements entre lesquels il faut choisir.

 

Laetitia Colombani nous conduit sur un autre terrain, celui des permanences, dans son roman Les victorieuses. Elle raconte quelques mois de la vie d’une brillante avocate dont l’existence bascule, et qui tente de se reconstruire au travers d’une activité bénévole auprès de femmes résidant dans  un foyer à Paris. Elle tient là une permanence d’écrivain public, qui la met en présence de femmes fragilisées par des situations instables.

L’autrice met le doigt notamment sur les entraves engendrées par l’illettrisme, mais aussi sur la diversité des courriers sollicités et sur les liens tissés entre l’écrivain public et la personne reçue. D’une certaine manière, elle nous rappelle que la profession d’écrivain public est souvent exercée dans un second temps, après une autre activité ; quel que soit le motif de la reconversion, elle correspond à un choix de partage d’expérience et d’interaction sociale.

Enfin, au-delà de la présentation imagée du rôle social de l’écrivain public qui, par l’écriture, donne accès à des droits ou rétablit des relations familiales, Laetitia Colombani ressuscite une autre vie, celle de Blanche Payron, femme active de l’Armée du Salut à l’origine de l’ouverture du Palais de la Femme en 1926.

 

Si l’on devait définir un point commun à ces trois personnages d’écrivain public, que serait-il ? Peut-être que l’écrivain public est la voix de son client, il s’efface et ne juge pas. En apportant son empathie et sa technicité, il lui permet de s’exprimer, de structurer sa pensée avec des mots justes, et ainsi de trouver sa vérité et pourquoi pas sa dignité.

Bonnes lectures !

 

Les livres

Tahar Ben Jelloun, L’écrivain public, Paris, Éditions du Seuil, 1983, 197 p.

Sorj Chalandon, La légende de nos pères, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 2009, 253 p.

Laetitia Colombani, Les victorieuses, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 2019, 221 p.