Max Havelaar

Max Havelaar, tout le monde connaît : un logo sur les paquets de café ou les tablettes de chocolat par exemple, qui garantit aux consommateurs que le produit provient d’un circuit commercial respectueux des droits humains et de l’environnement, symbole du commerce équitable.

Mais qui sait encore que ce nom est celui d’un personnage de roman publié en 1860 par un néerlandais, Eduard Douwes Dekker, sous le pseudonyme de Multatuli ?

Tout commence par les réflexions de Batavus Sèchepaille, coursier en café néerlandais, qui souhaite écrire un roman alors qu’il dénonce les romans, le théâtre, la poésie pour leur caractère mensonger : « Voilà des années que je me demande à quoi ils peuvent bien servir et que je reste stupéfait de l’audace avec laquelle un poète ou un raconteur de romans se permet de vous faire accroire une chose qui n’est jamais arrivée et qui, en général, ne peut pas arriver du tout. »

Sèchepaille est un homme d’affaires, féroce concurrent de Busselinck et Waterman. S’il décide, presque contre son gré, d’envisager un roman, c’est en raison d’un lot de documents qui lui sont remis suite à une rencontre qu’il juge même embarrassante avec un homme revenu des Indes orientales néerlandaises (devenues Indonésie depuis 1945).

Le livre évolue ainsi à plusieurs voix, en particulier celle du courtier avec son intransigeance et son étroitesse d’esprit, et celle de Max Havelaar au travers de ses notes, des lettres, des histoires sur les Indes orientales néerlandaises. Bien qu’étant un personnage fictif, Max Havelaar est rapidement perçu comme l’image de l’auteur, Eduard Douwes Dekker, qui a effectué plusieurs séjours et occupé plusieurs postes aux Indes orientales néerlandaises.

De façon subtile, celui qui dénonçait les mensonges des romans nous offre une histoire certes romancée, mais exhaustive de vérités sur la situation coloniale dans ce territoire. Si l’on se replace dans le contexte du XIXe siècle, époque au cours de laquelle se déroulent les faits, la révélation du dispositif d’oppression de la population indonésienne est quasi révolutionnaire.

En faisant moins appel à l’émotion du lecteur que ne l’a fait Harriet Beecher Stowe dans La Case de l’Oncle Tom, citée d’ailleurs dans le roman, l’auteur décrit de façon très précise l’organisation mise en place par la puissance néerlandaise, conduisant à disposer sans retenue de la population indonésienne, chaque acteur, gouverneur, résident, assistant-résident néerlandais ou régent indonésien, tirant profit de la situation tout en maintenant un calme apparent et favorable à la production notamment du café pour les besoins de l’exportation.

Comme Max Havelaar, Eduard Douwes Dekker ne restera que quatre mois dans son dernier poste d’assistant-résident à Lebak dans la province de Banten. Ses prises de position ne seront jamais soutenues par sa hiérarchie. Lorsqu’il démissionne et revient dans une grande pauvreté aux Pays-Bas, il écrit en quelques mois ce roman publié dans une première édition en 1860. Deux réimpressions d’un texte enrichi auront lieu en 1875 et 1881.

Dans sa forme, le roman est aussi inédit, peu conforme à ceux publiés à la fin du XIXe siècle. S’il peut sembler déroutant par moment ou long dans la lecture de certaines pages, il présente toutefois une certaine modernité dans les digressions, l’humour qui ne manque pas ou les interpellations du lecteur.

Tant sur le plan de la vérité historique que de l’avant-gardisme de l’auteur dans ses prises de position, voici un livre qui mérite d’être lu.

Le livre

Multatuli, Max Havelaar ou les ventes de café de la Compagnie commerciale des Pays-Bas, Paris, Actes Sud, coll. Babel, novembre 2020, 496 p.